cours/discours baptême civil.md
Oscar Plaisant 5bdeaf3332 update
2024-03-13 11:36:31 +01:00

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Bonjour,

Longtemps je me suis couché tard. Il y a deux jours encore, dans le calme qu'apporte la journée qui s'éteint, je rédigeais un texte que je m'apprête à vous lire. Ce discours est le fruit de certaines réflexions sur le baptême civil et sur le sens que l'on pourrait donner à cette cérémonie, sur le lien qui nous unit, Jean-Claude et moi et sur d'autres points qui me semblait important d'aborder.

Il serait aisé de tomber dans la facilité, et d'axer ce discours autour de la république, de sa devise... Mais il me semble qu'il n'y a pas tant de choses à dire sur cette devise, puisqu'il n'est personne qui se dise contre la liberté, contre l'égalité, contre la fraternité. On peut tout de même être pour l'équité plutôt que l'égalité, pour certaines formes de liberté plutôt que d'autres, et on peut penser que la fraternité est excluante pour les femmes, parce qu'il lui manque la sororité... Mais, si l'on cesse d'être mesquins, il n'est pas grand-chose à dire, et cette devise est assez facilement acceptée comme un idéal à atteindre. Je vais donc m'efforcer de ne pas dire des évidences, peut être au risque d'être moins consensuel.

La première chose qui vient en tête avec le baptême républicain est son opposition au baptême religieux.

Si le baptême civil peut être vu comme une émancipation face à l'hégémonie morale et culturelle de la religion, il est important de faire attention à ne pas faire de la république une nouvelle église, dont les crédos seraient une devise vidée de sa consistance, une laïcité galvaudée et un système moral semblable à celui d'une religion, qui ne serait là que pour justifier le fonctionnement de la société actuelle. Il faut au contraire garder en tête que c'est en allant contre des ordres moraux établis, contre des valeurs dogmatiques, que nous pourrons construire une société désirable. Je ne veux pas seulement dire par là que la morale objective n'existe pas, mais surtout que les principes moraux que nous acceptons doivent toujours être questionnés, jamais admis, toujours débatus, jamais brandis comme des vérités absolues.

Durant l'une de nos discussions, Jean-Claude m'a dit "Je me méfie du langage des catégories". Parler en catégories permet de simplifier à outrance, de réduire toute subtilité. Mais par-dessus tout, manipuler des catégories n'est pas penser. Or, que sont les valeurs morales, sinon des catégories ? Je considère que le fait de fixer des valeurs comme des vérités inconditionnelles est en cela, une forme d'oppression, puisque le fait de présenter une valeur comme irréfutable s'oppose à la réflexion, au débat, à la démocratie. En somme, je considère qu'une valeur peut être bonne comme idéal, mais jamais comme dogme. La république ne doit pas être la nouvelle église, elle doit permettre à chacun de s'émanciper, et à l'humanité d'écrire sa propre histoire. Je plaide alors pour que ce baptême soit un parrainage civil.

Je ne doute pas que certains d'entre vous ont déjà remarqué l'aspect initiatique que l'on pourrait donner à cette cérémonie. À l'aube de ma majorité, ce passage semble pouvoir marquer le début d'une citoyenneté, d'une émancipation, d'une prise de liberté.

La liberté ne s'use que si l'on ne s'en sert pas, et c'est pourquoi je voudrais que ce parrainage marque mon refus de devenir un jour réac et conservateur, aigri et démobilisateur, puisque Jean-Claude, par son engagement militant, constitue pour moi un modèle.

Jean-Claude est d'ailleurs un modèle sur beaucoup d'aspects, notamment par son érudition, et par la qualité qu'il apporte à une discussion, par son à propos et ses idées riches. En cela, le statut de parrain à, ici, quelque chose du mentor.

L'un de nos points communs, je crois, est que nous aimons tous deux les idées. Il me semble partager avec Jean-Claude cette fascination pour les choses de l'esprit, cet amour de la beauté d'une pensée. Je voudrais donc proposer le terme idéiste, puisqu'il désigne ce dont le but est l'expression des idées : quelque chose d'idéiste, c'est quelque chose qui cherche à exprimer des idées. Idéiste désigne également une approche selon laquelle l'art doit être l'expression des idées. Mais surtout, idéiste pourrait être entendu comme le préfixe i- suivi de "déiste", donc une sorte d'opposition au déisme, a la manière de l'ignosticime. Je trouve ce double sens assez approprié à la situation, puisqu'il permet de célébrer à la fois le règne des idées et l'émancipation de la religion dont j'ai parlé plus tôt. Je plaide alors pour que cette cérémonie soit un parrainage idéiste.

La fête est aussi une chose commune entre nous, car elle est un alambic dans lequel la vie est distillée en bonheur. Faisons un joyeux bordel. Pierre Bourdieu, certainement le plus célèbre des sociologues, s'est vu poser la question "ça vous va bien, non, c'est presque un slogan, "joyeux bordel" ? Vous aimeriez bien que la société soit un peu moins attentiste ?". Sa réponse a été "oui, oui, oui, un petit peu plus agitée, un petit peu plus troublée, troublante, un peu moins monotone, un peu moins bureaucratique." Bourdieu défendait que l'on pouvait associer la recherche du savoir et de la connaissance avec le bordel, notamment parce que le savoir nouveau chahute beaucoup les cerveaux. Il rappelle qu'il y a une gaie science, un gai savoir (un peu à la manière du gai savoir de Nietzsche), même si ce savoir rapporte des choses tristes. Je plaide alors pour que cette cérémonie soit un parrainage du gai.

Il me serait impossible d'énumérer tout ce qui nous relie, tout ce qui est en commun entre nous. Cependant, je crois que le commun est lui-même une chose très importante, puisqu'il implique à la fois la liberté, égalité et fraternité. Le commun nécessite la liberté, car sans liberté, il n'est pas de commun. Le savoir doit être libre pour être mis en commun. Le commun nécessite l'égalité, parce que ce qui est inégal n'est, par définition, pas un commun. La fraternité découle du commun, puisque c'est en accentuant nos communs plutôt que nos distincts que nous pourrons être frères et sœurs. Ainsi, je voudrais ériger le commun, non pas comme un dogme, mais comme un idéal. Je plaide alors pour que cette cérémonie soit un parrainage du commun.

Je me permets une tentative de résumer toute ma pensée en ceci : Je voudrais que cette cérémonie soit un parrainage civil et commun des gais idéistes.